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Ella et Pitr sont de ces artistes dont chaque exposition constitue non pas seulement un épisode, mais carrément une saison entière d’une série culte. J’avoue, j’ai manqué la précédente et il m’a fallu quelques minutes pour recoller les morceaux, renouer les ficelles et marabouter l’intrigue. 

Pour résumer, voici deux artistes qui travaillent alternativement en duo, en tandem ou en co-pilotage. À l’inverse d’autres couples ( Ella+Pitr= 2 enfants ) les stéphanois ne fonctionnent pas sur le mode du statu quo. Pas de gimmick, pas de recette, pas de méthode breveté comme chez XY ou WW, ici, chaque nouvelle œuvre, chaque nouvelle proposition rebat les cartes, remet la mise en jeu, parie tout sur le rouge, le noir, le pair, l’impair. Jamais de risque zéro.

Leur production est aujourd’hui si foisonnante que l’on vient a se demander s’ils ne font pas travailler leurs gosses ; le catalogue de l’expo « Le plan sur la gommette » ( Le Feuvre & Roze Editions, 128 pages, 20 euros) parait une rétrospective alors qu’il ne s’agit que de présenter l’iceberg dont la pointe apparait au 164 rue du faubourg Saint-Honoré.

Car cela saute aux yeux, ils ont su, en huit ans, faire de leur galerie parisienne un véritable appartement témoin de l’appartenance à Sainté. Ella et Pitr sont des artistes locaux, dans tous les sens du terme. Le fait qu’ils repeignent un mur à 50 mètres n’a rien d’une blague éculée, mais sonne comme l’écho de la rivalité entre les passementiers d’un côté et la Fabrique de l’autre. Elle et Lui s’excusent presque d’avoir plus qu’effleuré la manière hyperréaliste. Comme si cette décennie de manufacture les avaient subrepticement fait passer de la toile au tissu, du tissu à l’étoffe. Et qu’enfin ils avaient résolu l’équation différentielle ou vitesse d’exécution, accélération de la pensée et distance critique s’enchevêtraient en un problème inextricable. 

Les aficionados de leur période « cailloux » retrouveront la thématique minérale déclinée cette fois-ci sur les figures de la séparation, de la réunion ou pourquoi pas de la rivalité. En couverture du catalogue, cette illustration littérale de la parole de Saint-Exupéry : aimer c’est regarder ensemble dans la même direction. Or, aimer c’est aussi, parfois, se disputer. Aussi, ces morceaux d’assiette cassées sont littéralement le symbole de la réconciliation. Exposée en vitrine, Au Paradigme, (encre sur morceau d’assiette cassée, 25 x 15,8 cm, 2020) renoue avec la tradition de la représentation de la sérénité. 

Je vous conseille de commencer par le sous-sol. La vidéo présentée n’est pas sonore. C’est un ballet de musique visuelle qui vous donnera le double des clefs de ce pied-à-terre déguisé en atelier, à moins que ce ne soit l’inverse. En vous enfonçant dans le terrier, vous retrouverez le couloir qui demeure le lieu des expérimentations. Arrivé dans la pièce du fond, il vous sera proposé d’embrasser une nouvelle religion. Ne vous emmenez pas les pinceaux, certaines de ces pièces sont comme les cliffhangers, les « implants » qui trouveront dans la saison suivante leurs résolutions et leur récompenses. Certes, vous retrouverez les papier peintres, mais entre-temps et quatre expositions il ont appris à domestiquer le support qui d’abord, a torturé et le tagueur et la dessinatrice. Enfin des toiles donc, mais aussi des verres flous et du concret, du lourd, du béton. Entre voisins (encre sur béton, 54 x 40 cm, 2020) parait de loin une estampe asiatique, à mieux y regarder, c’est quasiment un dessin de Jean-Jacques Sempé : dans un monde dénué de gravité, chacun voit son verre plus vide que celui de son voisin.

Et puis, j’insiste, il y a ces tissages, ces tissus, ces étoffes. Incontestablement, toute la série Plis et replis (de soi) (technique mixte sur toile, crayon et aquarelle sur papier, 2018-2019-2020) mériterait une exposition à elle seule. Sans doute vous aussi, vous percevrez la sensation trouble d’apercevoir entre deux plis un minuscule personnage ou une tache indélébile, dans un coin. C’est que ces œuvres présentent une nouvelle facette du binôme, assis par terre, les yeux dans les étoiles à matelas.

Article écrit par : Thomas « Thom Thom » Schmitt 

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