You are currently viewing LOUYZ : le pari étal du trompe-l’œil !

Ses pinceaux courent sous la mansarde, virevoltent dans le cadre ; le débordent, remontent le long de la lézarde, de là s’étendent et se déploient sur le mur pour qu’une jungle nouvelle surgisse. L’artiste leur prête libre cours et ils y laissent son empreinte, celle de LOUYZ.

Comme un surgissement, apparaît alors le paysage de la ville en toile de fond gris-bleu-horizon, afin de mettre en lumière l’éclat de couleur de la végétation et la scène animalière qui se joue hors le mur, au-travers d’un trompe-l’œil. Parfois, c’est un ara qui prend son envol (le 27 Pantin), ou un tigre alangui (Italie2) ou encore un colibri qui butine une fleur de Lilas (le jardin de l’art urbain aux Lilas). La jungle des villes s’ouvre à des « dé-paysages » et à de nouvelles perspectives sur les ombres de la caverne de notre pseudo-réalité. Nos impressions sont trompeuses, essentiellement axées sur le consumérisme, alors que la quête de la vérité appartient au cœur…

Cette technique du trompe-l’œil est la marque de fabrique de l’artiste. Ou plutôt, son originalité vient de l’usage qu’elle en fait, mêlé à la pratique du Street-Art, pour ouvrir un pont, une brèche, une croisée dans la ville. Une fenêtre sur nos aspirations de nature, nous les citadins, à ce point dénaturés. L’artiste se situe au carrefour du muralisme et du Street-Art, ce qui la prédispose à être originale. Cependant, ses sujets et la façon dont ils lissent les pignons borgnes de nos rue aveugles, donnent à voir une autre réalité ; le poète disait : il n’y a rien de plus vrai que ce qui est imaginaire dans un autre monde ». LOUYZ l’illustre parfaitement…(*1).

LOUYZ est issue de la tradition du muralisme, car à l’origine était la peinture murale de son grand-père, un peintre qui a conquis le public avec notamment deux trompe-l’œil, l’escalier monumental à la station Étienne Marcel et les fenêtres de Beaubourg, rue Quincampoix.

Le peintre muraliste et sa petite fille, réciproquement artiste et modèle, dans l’atelier parisien de LOUYZ

Fabio Rieti était un artiste habité, un passionné de musique et de poésie, une âme vibrante dans le concert de la création. Pour preuve, son hommage à Jean-Sébastien Bach à l’angle de la rue éponyme de Paris 13ème, le mur qui établit le point d’orgue des trois générations, puisqu’il a été peint par le maître en 1980 et restauré par sa fille et sa petite-fille en 2016.

Il commence sa carrière par sa collaboration avec l’architecte Émile Aillaud, qui va durer quinze ans, avec lequel il couvre de mosaïque la façade de grands ensembles comme à Grigny, Courbevoie, Chanteloup ou Bobigny. Les grandes tours nuages à Nanterre, c’est lui aussi ! Mais il se tourne vers la figuration et réalise « Les fenêtres » sa première peinture murale en 1975.

Italien né en 1925, sa famille quitte le pays à cause des lois de l’État fasciste pour Paris, puis les Etats-Unis. Là, il s’initie à l’art de la mosaïque, ce qui l’amènera plus tard à la peinture murale. Il pose ses valises à Paris à l’âge de trente-et-un ans. La fresque du métro témoigne de cette période, cet homme qui porte les valises de l’exil, c’est lui qui remonte la pente pour retrouver sa fille qui lui tend les bras. Les musiciens de l’orchestre sont une référence à la musique de Bach enregistrée par Glenn Gould et Yehudi Menuhin (*2) et à son père, compositeur.

Il est décédé en octobre 2020. Il est un pionnier dans son art, reconnu comme tel par ses pairs. Il l’a transmis à sa fille Leonor, qui l’a porté et soutenu. Elle a élevé sa propre fille, Louise dans ce savoir, presque cette croyance. LOUYZ a créé la structure « Artomur » pour réunir leurs trois pinceaux et se situe donc de façon atavique à ce croisement.

Être au croisement signifie être visible, c’est une façon d’apparaître « On the corner » (*3), comme l’album de Miles Davis dont le son inédit sortait de la trompette ; LOUYZ sort du mur, à l’intersection de la technique du muralisme et de l’invasion programmée du Street-Art, avec cette manière qui n’appartient qu’à elle, de réjouir nos murs de réelles présences(*4), je cite :

– « C’est le quotidien qui est abyssal. Celui de notre raison d’être, de la rencontre imprévue, peut-être involontaire, avec l‘homme ou la femme dont l’amour changera notre univers, rencontre- Baudelaire le sait- au coin d’une rue ou à travers le reflet d’une vitrine. C’est le mystère qui est si terriblement concret ».

Le surgissement d’une scène mystérieuse est donc terriblement concret pour notre espèce et la rencontre avec un des animaux du bestiaire coloré de LOUYZ peut s’avérer riche de sens, d’autant que c’est devenu chose rare dans le monde contemporain, tout occupé à les chasser !

Ainsi sont apparus au gré des festivals en Sologne, au Mans, à Pantin, à Paris ; une foule d’espèces différentes, comme un martin-pêcheur ou des aras et l’emblématique lézard. Il vient peut-être de la proposition initiale de Fabio Rieti, qui avait projeté de dessiner un lézard sur le cube des Halles, avant qu’une de ses amies, à la faveur de l’obscurité dans l’atelier, n’y voit un homme qui marche sur le mur ? Le lézard deviendra donc « Le piéton des Halles »…

Existe-t-il de pluriel à trompe-l’œil, et bien non, on ne dit pas trompe-z-yeux ! Cette singularité de l’artiste muraliste se retrouve jusque dans la langue, et, elle y ajoute sa personnalité et sa propre sensibilité pour nous faire voyager dans l’espace et le temps, un lieu en dehors du darwinisme et des classifications de Linné, un temps pour se situer dans la jungle des villes, se réorienter.

Pignon réalisé en juin 2021 par LOUYZ à Marcilly-en-Gault, pour la Biennale d’Art Contemporain en Sologne

Façade faite par LOUYZ sur l’ancien hippodrome de Dreux avec Ace Paintball en août 2020

Fresque réalisée par LOUYZ pour le festival Musée à ciel ouvert au 27 Pantin en juin 2021

Fresque peinte à l’entrée du Centre commercial Italie2 par LOUYZ en septembre 2021

 

1. Charles BAUDELAIRE : « La poésie est ce qu’il y a de plus vrai dans un monde imaginaire », Carnets, 1855
2. Gould Meets Menuhin : Bach/ Beethoven/ Schœnberg, Canadian Brodcasting Corporation, 1966
3. On the Corner – Miles Davis, production Teo Macero, Colombia records, 1972
4. « Réelles présences » George STEINER, Gallimard, Paris 1991

Texte : Sigismond Cassidanius